Certains d'entre vous se souviennent peut-être de la série Romans d'Ados qui avait jadis captivé toute la Suisse romande et qui nous permettait de suivre l'évolution de jeunes d'Yverdon au fur et à mesure de leur arrivée dans la vie adulte (la série des DVD est toujours sur nos rayons !).
Eh bien, avec ce documentaire extraordinaire qui a pour titre Les Filles du Nil (voir la bande annonce ici), et qui a été tourné durant quatre longues années, nous nous retrouvons transportés en Égypte, dans un village pauvre et simple, à deux cents kilomètres au sud du Caire. Dans ces lieux désolés, aux murs nus et décrépits, une troupe théâtrale, constituée de jeunes filles, bourgeonne et crépite d'énergie. Elles se retrouvent dans un local de fortune afin de répéter avant de se produire effrontément dans la rue, pour un résultat décoiffant : c'est une mise en scène militante coup de poing et pleine d'humour au travers de laquelle ces jeunes filles interpellent les jeunes et les adultes : n'ont-elles pas le droit de vivre comme elles l'entendent? De ne pas se condamner seulement à un avenir tout tracé (mariage, enfants, vie à la maison) ? N'ont-elles pas le droit de s'habiller comme elles le veulent ? Supportant stoïquement les rires, les moqueries, les remarques mesquines, elles forcent les hommes (mais aussi les femmes plus âgées) à se positionner vis-à-vis de leur mentalité, de leurs mœurs et coutumes. La fin du documentaire est douce-amère puisque certaines des filles de la troupe finissent par "rentrer dans le rang" en se mariant, en ayant des enfants et en cessant cette activité théâtrale. Seule l'une d'entre elles, Madja, va quitter le village pour tenter sa chance, au nord, dans l'immense capitale.
Madja dans sa chambre - on entrevoit des images chrétiennes sur le mur. Et bien sûr, le smartphone est un outil central de la vie de ces jeunes qui n'ont que peu d'autres possibilités de loisirs.Précisons-le : toute l'action du documentaire se déroule dans un village copte - les chrétiens d'Égypte sont minoritaires mais constituent à eux seuls plus de 10% de la population égyptienne, ce n'est pas rien. Et donc, tout au long du film, on constate que l'identité copte est discrète mais bien présente : ainsi, nous entrevoyons une célébration copte (durant laquelle les femmes se couvrent les cheveux), ou bien l'on s'aperçoit qu'une des jeunes filles s'est tatouée un "Jesus" bien visible sur le dos de la main, ou encore l'on voit une des protagonistes principales, Madja, prier silencieusement devant un autel. Le documentaire ne donne pas toutes les clés d'interprétation au spectateur, mais on peut aussi s'interroger : cette troupe de théâtre aurait-elle vraiment pu se constituer aussi librement dans un village arabe sunnite ? La question reste posée.
À notre connaissance, il n'existe pas de version en streaming de ce documentaire, mais le DVD est bien sûr disponible au CIDOC (et n'oubliez pas : si vous ne deviez plus avoir de machine capable de lire des DVD, nous mettons à disposition des lecteurs DVD externes gratuitement ! ). Pour approfondir ce film et mieux comprendre dans quel contexte il a été tourné, il existe également un dossier pédagogique qui vous sera très utile dans le cas d'une animation en groupe.
Robin Masur
Chef de service du CIDOC